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Titel
Centre et hexacentre. Vol. 1: Centralité christallérienne : géométrie fausse, théorie réfutée


Autor(en)
Adam, Sylvie; Michalakis, Mélétis; Nicolas, Georges; Radeff, Anne
Reihe
Erastosthène-Série générale
Erschienen
Sainte-Croix 2018: Éditions Mon Village
Anzahl Seiten
451 S.
von
Roland Carrupt

La théorie des lieux centraux de Walter Christaller (1893–1969), encore à l’heure actuelle régulièrement citée sans trop de précaution quant à sa construction et à son utilisation, constitue le sujet de ce livre écrit par des chercheurs issus des sciences humaines et des mathématiques.

Cet itinéraire de recherche, qui se poursuit toujours, se décline en trois parties distinctes. Tout d’abord, les auteurs démontrent longuement l’erreur géométrique de Christaller (p. 1–220). Ensuite, ils publient une thèse de doctorat peu connue à propos de l’espace français (p. 221–426). Dans ce travail, la géographe Sylvie Adam (1961–1993) démontre l’impossibilité d’expliquer l’organisation spatiale de la France en appliquant la théorie des lieux centraux. Il est à noter que les auteurs testent également sans succès ce modèle sur la constitution et la hiérarchisation des bourgs en Suisse occidentale. Enfin dans la troisième et dernière partie (p. 427–447), les scientifiques ne se contentent pas de terminer le travail de démolition de cette théorie, mais ils proposent d’allier la centralité et la décentralité dans une conclusion du genre programmatique.

Qualifiés par le philosophe des sciences Juan Ramon Álvarez de «groupe de Lausanne», les auteurs présentent des caractéristiques originales qui font la saveur de ce livre. Tout d’abord, nous avons affaire à un groupe bilingue qui a travaillé sur le texte original et dont la lecture a permis de constater que «l’allemand de Christaller est tout sauf facile à comprendre et [que] ses développements sont pleins de repentirs et de retours en arrière» (p. 44). La lecture de cette source s’est accompagnée d’un solide et durable travail dans les archives, notamment les archives historiques vaudoises, avec une attention particulière accordée à l’évolution du réseau urbain vaudois du VI e au XVIIIe siècles. Ce détour par l’histoire s’explique notamment par «l’influence de la centralité exclusive [qui] se retrouve dans le vocabulaire des historiens et peut alors entraîner une vision partielle des phénomènes étudiés» (p. 99). Les sources abondantes sont aussi régulièrement mises à jour en observant l’utilisation de cette théorie dans les pays voisins et en Chine. Enfin, les textes écrits dans la deuxième moitié du XX e siècle ont été régulièrement révisés et remis à jour. Cette démarche n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de l’historien italien Carlo Ginzburg (1939–) lors de la réédition en 2014 de son livre emblématique Le fromage et les vers1.

Dans son livre publié en 1933 et intitulé Die zentralen Orte in Süddeutschland2, le géographe allemand Christaller observe la centralité dans la réalité et la cartographie pour déterminer l’optimisation de la distribution des marchandises. Mettre côte à côte des hexagones réguliers permettrait ainsi de montrer et d’expliquer la répartition des villes à la surface de la Terre. Celles-ci se répartiraient de manière centrale en fonction par exemple de leur accessibilité et de leurs activités économiques. Or, cette séduisante manière de procéder se heurte à une double objection fondamentale mise en évidence par le groupe de Lausanne. Tout d’abord, les chercheurs réfutent le modèle de Christaller à l’aide des mathématiques et des sciences humaines. L’historienne Anne Radeff s’est en effet beaucoup intéressée à l’économie sous l’Ancien Régime, qu’il s’agisse des activités pratiquées et de la circulation des hommes et des marchandises. En s’appuyant sur ses nombreuses recherches, le groupe de Lausanne démontre qu’«il existe des pratiques économiques, sociales, culturelles, voire politiques qui ne sont pas conformes à l’idée d’un ordre central» (p. 441). Celles-ci génèrent en effet des comportements «décentraux» qui conduisent à un autre type d’organisation spatiale tout aussi nécessaire au bon fonctionnement d’une économie globale. La prise en compte de cette «décentralité» en complément de la «centralité» rappelle que la notion d’ordre, que les auteurs ne rejettent pas, ne revêt pas la même signification chez les autorités que chez les individus (p. 447).

Le passé du géographe allemand est aussi relevé avec précision dans ce livre. Christaller fait allégeance au Führer dès 1933, l’année de publication de Die zentralen Orte in Süddeutschland dans la Geographische Wochenschrift. De 1937 à 1940 il est assistant de Theodore Maunz (1901–1993), auteur de la législation anti-juive du Troisième Reich et du code des camps de concentration. En 1940, il adhère au Parti nazi. Sous la direction du SS-Oberführer Konrad Meyer-Hetling (1901–1969), responsable de la planification du nouvel ordre nazi dans l’espace vital allemand (Generalplan Ost), Walter Christaller participe aux projets de colonisation des territoires conquis à l’Est (p. 435–436).

Finalement, ce livre repose sur une large base historique à partir de laquelle les mathématiques dialoguent avec l’histoire et la géographie pour mettre en évidence le naufrage de la théorie des lieux centraux proposée par Walter Christaller. Fonder une explication d’une organisation spatiale des lieux urbains sur cette théorie s’avère illusoire et dangereux. Un «modèle de Lausanne» est proposé pour la modifier (p. 161, 395, 403). Il met un terme aux déceptions et regrets exprimés par les historiens et spécialistes des sciences humaines sur le caractère «irrégulier» ou «incomplet» des configurations géométriques qu’ils ont trouvées au cours de leurs recherches sur les réseaux urbains. Enfin, une interprétation centrale-décentrale de l’histoire du réseau urbain vaudois est présentée (p. 79–101). On espère que le volume 2 fournira d’autres exemples actuels accessibles au plus grand nombre.

1 Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers, Paris 2014. Publié en 1976 en italien et traduit en français en 1980, ce livre réédité en 2014 contient une préface inédite de Patrick Boucheron et un avant-propos de 2009–2011 dans lequel Ginzburg recontextualise le propos de son livre.
2 Walter Christaller, Die zentralen Orte in Süddeutschland, Darmstadt 1933 (réédition de 1980).

Zitierweise:
Carrupt, Roland: Rezension zu: Adam, Sylvie; Mélétis, Michalakis, Georges, Nicolas; Radeff, Anne: Centre et hexacentre, vol. 1: Centralité christallérienne: géométrie fausse, théorie réfutée, Sainte-Croix 2018. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 72 (1), 2022, S. 162-164. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00102>.

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